Forbes – Financer Sciences Po Avec Frédéric Mion
« Une éducation vraiment démocratique est une éducation qui forme des hommes capables de défendre et de maintenir la démocratie en politique ; mais, dans son ordre à elle, qui est celui de la culture, elle est implacablement aristocratique et élitiste. » écrivait le sinologue Simon Leys dans le Studio de l’inutilité. Former l’élite. Une tâche ardue pour une université sélective qui vient juste d’annoncer la suppression des épreuves écrites de son concours d’entrée. Cette formation que l’on doit financer. Retour pour Forbes sur sa récente levée de fonds avec le directeur de Sciences Po Frédéric Mion.
Ancien normalien et major de l’ENA, Frédéric Mion a suivi le cursus honorum parfait pour diriger l’ancienne École Libre des Sciences Politiques. Questions/Réponses à l’actuel directeur en 2 moments : tout d’abord sur l’actuelle levée de fonds de 100 millions d’euros et ensuite sur la vision de l’homme.
De l’Oikonomia universitaire
Avez-vous encore besoin de financement pour la levée de fonds ?
« Nous terminons actuellement notre levée de fonds commencée en octobre dernier. À titre d’exemple, le nouveau campus de l’Artillerie va coûter à lui seul 20 millions d’euros. Nous avons déjà obtenu plus de 17 millions d’euros. Ces donations offrent un avantage fiscal en France, mais aussi pour les investisseurs étrangers grâce à des véhicules financiers qu’ils leurs sont spécifiques. La Fondation nationale des sciences politiques centralise ces donations. Sciences Po a par ailleurs effectué un emprunt ainsi qu’un apport en fonds propres à hauteur de 30 millions pour sa refondation. Nous souhaitons compléter cette levée de fonds totale de 100 millions d’euros à l’occasion du 150ème anniversaire de l’institution en 2022. Vous pouvez trouver toutes les informations sur le lien suivant : soutenir Sciences Po. »
Pourquoi ouvrir un nouveau campus ?
« Il s’agit de réaffirmer un choix stratégique pour Sciences Po, celui d’une université implantée au cœur de la capitale qui offre à ses étudiantes et à ses étudiants une expérience de vie et d’études complète à l’instar des grandes universités internationales. Nous avons la chance d’avoir procédé à l’acquisition de l’hôtel de l’Artillerie qui date du 17ème siècle. Il s’agit de l’ancien siège des dominicains qui a été ensuite attribué au ministère de la Guerre — d’où son nom actuel. Nous souhaitons y regrouper toutes les fonctions de l’université : de la recherche à la formation, en passant par la création d’une nouvelle bibliothèque et de nouveaux espaces d’échanges et de collaboration. Ce nouveau campus sera aux standards du 21ème siècle dans un bâtiment historique. Il s’inscrit donc dans un acte de refondation qui redessine le visage du Sciences Po de demain. »
Le nouveau campus de l’Artillerie
Votre école a connu un triplement de ses ressources en une vingtaine d’années, existe-t-il un Colbert de Sciences Po ?
« Plutôt que d’expliquer par un seul homme cette expansion budgétaire, on peut trouver plusieurs raisons à cette évolution. Tout d’abord, la croissance de l’institution. À la fin des années 1980, l’école comptait 1400 élèves contre 14 000 aujourd’hui. Cette croissance de notre budget s’explique aussi par l’augmentation des droits de scolarité. L’Etat a enfin augmenté ses subventions jusqu’en 2010 puis les a stabilisés — celui-ci ne nous finançant plus aujourd’hui qu’à hauteur de 34 %. Sciences Po a en parallèle diversifié ses ressources grâce au mécénat et à ses offres de formation continue. Une croissance financière qui s’explique donc par des changements structurels au sein de l’institution ainsi que par une diversification de ses revenus. »
Frédéric Mion dans les jardins de Sciences Po (Photo de Manuel Braun)
Questions plus personnelles au directeur de Sciences Po
Un souvenir d’étude à Sciences Po ?
« À l’automne 1989, tous les jeudis soir dans l’amphithéâtre Boutmy, j’assistais à la conférence d’actualité d’Alfred Grosser, le spécialiste des relations franco-allemandes. La conférence a été interrompue : “Cher Alfred, le mur de Berlin vient de tomber.” C’était le 9 novembre 1989. Cette annonce a provoqué les pleurs de notre professeur. Ce souvenir est pour moi un symbole de notre vie. J’ai grandi dans un espace partagé en deux, complètement séparé. Ce souvenir pourrait être selon moi une leçon pour les étudiants d’aujourd’hui. Nous pensons l’actualité en des termes fixes. Or, tous ces cadres peuvent voler en éclats. »
Enseignez-vous comme le faisait Émile Boutmy, le fondateur de Sciences Po ?
« J’ai enseigné le droit public à Sciences Po durant 4 années, de 1996 à 2000. J’ai encore la tentation d’enseigner, mais le temps me fait défaut. Si je parvenais à le trouver, je m’éloignerais sans doute de mon premier domaine d’expertise qui est le droit afin d’offrir des cours en rapport avec les humanités. »
Et si Frédéric Mion était un caractère chinois ?
写, Ecrire en chinois, représente à l’origine un oiseau faisant un nid
Écrire/写 . Le mot écrire en chinois représente à l’origine un oiseau faisant un nid. Le processus d’écriture des caractères chinois ressemble ainsi à la construction d’un nid, chaque brindille assemblée étant comme un trait constitutif d’un caractère chinois — voir l’image. Ce caractère est à l’image de ce directeur qui construit le nouveau campus de l’Artillerie, ce nouveau nid d’étude. Mais Frédéric Mion n’est pas seulement un maître d’œuvre, il dispose d’une âme littéraire et artistique. Un ancien Khâgneux à la plume certaine. Des peintres préférés ?
« Je citerais des impressionnistes — Edouard Manet, Claude Monet, Gustave Caillebotte — qui ont le mieux saisi le Paris qui me parle, une ville en pleine transformation, et notamment son quartier Saint-Lazare, que je connais bien puisque j’habite à côté de la place de l’Europe ». Écrire en chinois signifie aussi traditionnellement peindre « 写生, peindre d’après la nature ». 写 : un caractère aussi complet que l’homme.
« L’université devrait être le lieu où les gens deviennent ce qu’ils sont vraiment. » écrivait enfin Simon Leys. Sciences Po permet à chacun d’apprendre, de s’orienter et de se découvrir. Des classiques cours de droit public à l’intervention de rappeurs comme Fianso, Sciences Po offre un large panel de cours qui répond à l’éclectisme de chacun. Une école pour apprendre à devenir soi.
La conversation a été modifiée et condensée pour plus de clarté.
Ancien normalien et major de l’ENA, Frédéric Mion a suivi le cursus honorum parfait pour diriger l’ancienne École Libre des Sciences Politiques. Questions/Réponses à l’actuel directeur en 2 moments : tout d’abord sur l’actuelle levée de fonds de 100 millions d’euros et ensuite sur la vision de l’homme.
De l’Oikonomia universitaire
Avez-vous encore besoin de financement pour la levée de fonds ?
« Nous terminons actuellement notre levée de fonds commencée en octobre dernier. À titre d’exemple, le nouveau campus de l’Artillerie va coûter à lui seul 20 millions d’euros. Nous avons déjà obtenu plus de 17 millions d’euros. Ces donations offrent un avantage fiscal en France, mais aussi pour les investisseurs étrangers grâce à des véhicules financiers qu’ils leurs sont spécifiques. La Fondation nationale des sciences politiques centralise ces donations. Sciences Po a par ailleurs effectué un emprunt ainsi qu’un apport en fonds propres à hauteur de 30 millions pour sa refondation. Nous souhaitons compléter cette levée de fonds totale de 100 millions d’euros à l’occasion du 150ème anniversaire de l’institution en 2022. Vous pouvez trouver toutes les informations sur le lien suivant : soutenir Sciences Po. »
Pourquoi ouvrir un nouveau campus ?
« Il s’agit de réaffirmer un choix stratégique pour Sciences Po, celui d’une université implantée au cœur de la capitale qui offre à ses étudiantes et à ses étudiants une expérience de vie et d’études complète à l’instar des grandes universités internationales. Nous avons la chance d’avoir procédé à l’acquisition de l’hôtel de l’Artillerie qui date du 17ème siècle. Il s’agit de l’ancien siège des dominicains qui a été ensuite attribué au ministère de la Guerre — d’où son nom actuel. Nous souhaitons y regrouper toutes les fonctions de l’université : de la recherche à la formation, en passant par la création d’une nouvelle bibliothèque et de nouveaux espaces d’échanges et de collaboration. Ce nouveau campus sera aux standards du 21ème siècle dans un bâtiment historique. Il s’inscrit donc dans un acte de refondation qui redessine le visage du Sciences Po de demain. »
Le nouveau campus de l’Artillerie
Votre école a connu un triplement de ses ressources en une vingtaine d’années, existe-t-il un Colbert de Sciences Po ?
« Plutôt que d’expliquer par un seul homme cette expansion budgétaire, on peut trouver plusieurs raisons à cette évolution. Tout d’abord, la croissance de l’institution. À la fin des années 1980, l’école comptait 1400 élèves contre 14 000 aujourd’hui. Cette croissance de notre budget s’explique aussi par l’augmentation des droits de scolarité. L’Etat a enfin augmenté ses subventions jusqu’en 2010 puis les a stabilisés — celui-ci ne nous finançant plus aujourd’hui qu’à hauteur de 34 %. Sciences Po a en parallèle diversifié ses ressources grâce au mécénat et à ses offres de formation continue. Une croissance financière qui s’explique donc par des changements structurels au sein de l’institution ainsi que par une diversification de ses revenus. »
Frédéric Mion dans les jardins de Sciences Po (Photo de Manuel Braun)
Questions plus personnelles au directeur de Sciences Po
Un souvenir d’étude à Sciences Po ?
« À l’automne 1989, tous les jeudis soir dans l’amphithéâtre Boutmy, j’assistais à la conférence d’actualité d’Alfred Grosser, le spécialiste des relations franco-allemandes. La conférence a été interrompue : “Cher Alfred, le mur de Berlin vient de tomber.” C’était le 9 novembre 1989. Cette annonce a provoqué les pleurs de notre professeur. Ce souvenir est pour moi un symbole de notre vie. J’ai grandi dans un espace partagé en deux, complètement séparé. Ce souvenir pourrait être selon moi une leçon pour les étudiants d’aujourd’hui. Nous pensons l’actualité en des termes fixes. Or, tous ces cadres peuvent voler en éclats. »
Enseignez-vous comme le faisait Émile Boutmy, le fondateur de Sciences Po ?
« J’ai enseigné le droit public à Sciences Po durant 4 années, de 1996 à 2000. J’ai encore la tentation d’enseigner, mais le temps me fait défaut. Si je parvenais à le trouver, je m’éloignerais sans doute de mon premier domaine d’expertise qui est le droit afin d’offrir des cours en rapport avec les humanités. »
Et si Frédéric Mion était un caractère chinois ?
写, Ecrire en chinois, représente à l’origine un oiseau faisant un nid
Écrire/写 . Le mot écrire en chinois représente à l’origine un oiseau faisant un nid. Le processus d’écriture des caractères chinois ressemble ainsi à la construction d’un nid, chaque brindille assemblée étant comme un trait constitutif d’un caractère chinois — voir l’image. Ce caractère est à l’image de ce directeur qui construit le nouveau campus de l’Artillerie, ce nouveau nid d’étude. Mais Frédéric Mion n’est pas seulement un maître d’œuvre, il dispose d’une âme littéraire et artistique. Un ancien Khâgneux à la plume certaine. Des peintres préférés ?
« Je citerais des impressionnistes — Edouard Manet, Claude Monet, Gustave Caillebotte — qui ont le mieux saisi le Paris qui me parle, une ville en pleine transformation, et notamment son quartier Saint-Lazare, que je connais bien puisque j’habite à côté de la place de l’Europe ». Écrire en chinois signifie aussi traditionnellement peindre « 写生, peindre d’après la nature ». 写 : un caractère aussi complet que l’homme.
« L’université devrait être le lieu où les gens deviennent ce qu’ils sont vraiment. » écrivait enfin Simon Leys. Sciences Po permet à chacun d’apprendre, de s’orienter et de se découvrir. Des classiques cours de droit public à l’intervention de rappeurs comme Fianso, Sciences Po offre un large panel de cours qui répond à l’éclectisme de chacun. Une école pour apprendre à devenir soi.
La conversation a été modifiée et condensée pour plus de clarté.