Le Figaro – Frédéric Mion: « L’admission à Sciences Po sera plus lisible, plus efficace et plus équitable »

25/06/2019 | 12:00 Sciences Po médias  
INTERVIEW - En 2021, le concours, dans sa forme actuelle, sera supprimé. Directeur de Sciences Po Paris depuis 2013, Frédéric Mion détaille au Figaro la nouvelle procédure d’admission.

LE FIGARO. - En 2021, il n’y aura plus d’épreuves écrites pour entrer à Sciences Po. Pourquoi ce choix?

Frédéric MION. - La refondation de notre système d’admission résulte d’une longue réflexion, la question étant, au fond, celle des talents dont la France et le monde auront besoin dans les prochaines décennies. Avec cette réforme, l’admission sera plus lisible, plus efficace, plus équitable. Aujourd’hui, plus de la moitié des candidats et des admis ne passent pas les épreuves écrites. Il s’agit des étudiants internationaux, des élèves venus des conventions éducation prioritaire (CEP) et des lycéens retenus pour l’excellence de leur dossier. Ils passent tous un oral, spécifique à chacune de ces voies d’accès.

À l’avenir, nous aurons une seule et même procédure. Elle s’appuiera sur le parcours académique des candidats depuis la seconde, les notes obtenues au bac (réformé en 2021, NDLR) et le dossier de candidature, qui permettra de mesurer les capacités d’ouverture d’esprit, d’inventivité, d’engagement, de ténacité. Ceux qui auront franchi la barre d’admissibilité passeront un oral. Mais il ne s’agira pas d’un oral couperet. Il fera l’objet d’une note que nous agrégerons aux trois notes obtenues. La moyenne des quatre déterminera l’admission à Sciences Po.

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On sait qu’un 18 obtenu dans un lycée n’a pas la même valeur que dans un autre… Appliquerez-vous des coefficients aux établissements?

Nous allons nous donner les moyens de mettre les notes des élèves en regard des pratiques de leur lycée, comme nous le faisons déjà.

«Avec cette réforme, nous faisons confiance au baccalauréat et au secondaire, comme le font de grandes institutions internationales telles que la London School of Economics ou Harvard»
Frédéric Mion

En supprimant le concours, ne craignez-vous pas de déprécier Sciences Po?

Nous restons profondément attachés à une procédure sélective. Elle le sera sans doute davantage à l’avenir. L’intégration de Sciences Po à Parcoursup va lui donner plus de visibilité et briser, peut-être, l’autocensure. Avec cette réforme, nous faisons confiance au baccalauréat et au secondaire, comme le font de grandes institutions internationales telles que la London School of Economics ou Harvard.

Aujourd’hui, les épreuves du concours nous confirment simplement ce que disent les dossiers scolaires des candidats. Elles introduisent une complexité inutile et décourageante. En les supprimant, nous allons gagner en équité. Cela permettra aussi d’en finir avec le recours aux préparations privées…

Mais dans le secondaire, les cours particuliers vont se multiplier…

La nature a horreur du vide. Les familles les mieux informées auront à cœur de doter leurs enfants des meilleurs outils. Aucune procédure ne résiste à l’épreuve du temps. Il faut se pencher régulièrement sur la question, pour remettre du tonus dans l’ascenseur social. Notre nouvelle procédure vise à lutter contre les phénomènes de prédétermination sociale. Mais ce n’est pas une réponse définitive.


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«Nous nous engageons à admettre en première année a minima 30 % de boursiers»

Frédéric Mion
Dans cette nouvelle procédure, que devient la voie réservée aux élèves venus de l’éducation prioritaire?

Nous nous engageons à admettre en première année a minima 30 % de boursiers. Une proportion atteinte ici ou là à l’université, à laquelle ne parviennent pas les formations sélectives. À Sciences Po, la part des boursiers (26% actuellement) s’érode d’année en année. Il faut donc aller chercher la diversité.

Après la mise en place, en 2001, de conventions avec des lycées de l’éducation prioritaire, nous allons franchir une deuxième étape. Aujourd’hui, nous savons que la majorité des élèves défavorisés ne fréquentent pas l’éducation prioritaire. Nous allons donc multiplier par deux le nombre de nos lycées partenaires et ne pas nous limiter aux établissements périurbains. Nous nous engageons à ce que 15 % de nos admis soient des étudiants boursiers issus de ces lycées conventionnés.

Comme garantir ce taux de 15 %?

En travaillant avec les lycées et en nous appuyant sur notre expérience de vingt ans.

Avec la réforme du bac, quelles spécialités faudra-t-il choisir pour intégrer Sciences Po?

Beaucoup de parents nous posent la question. Sans langue de bois, nous voulons des candidats venus de toutes les spécialités, tout comme nous accueillons aujourd’hui des élèves de toutes les filières. En pratique, s’il y a davantage de candidats venus de ES, les taux de réussite sont les mêmes en S, ES et L.

«La France est l’héritière d’un système méritocratique qui a sa valeur, mais qui peine aujourd’hui à produire une diversité de recrutement»

Frédéric Mion
Comment expliquez-vous que Sciences Po soit la seule école à avoir touché à son concours?

Le dispositif était très audacieux, voire révolutionnaire, quand il a été proposé en 2001 par mon prédécesseur. Il a d’ailleurs suscité des controverses. Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à dire que cette intuition a été déterminante pour concrétiser l’ambition d’ouverture sociale de Sciences Po. Et beaucoup semblent se dire qu’à défaut d’adopter des procédures similaires, les objectifs de diversité, fixés par les pouvoirs publics et demandés par la société, ne pourront être atteints.

Il faut donc faire de la discrimination positive?

C’est le choix que nous avons fait à Sciences Po. Le meilleur des sprinters n’a aucune chance s’il part avec 100 m de retard. Sans ce type de dispositif, nous nous privons d’un outil efficace. La France est l’héritière d’un système méritocratique qui a sa valeur, mais qui peine aujourd’hui à produire une diversité de recrutement. Derrière les critiques, il y a surtout une réticence idéologique au changement.
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