Blog Le Monde – Sciences Po invente la « pédagogie du handicap »

19/01/2018 | 12:00 Sciences Po médias  

« Pour aider nos étudiants handicapés, nous voulons passer d’une stratégie de « compensation » à des méthodes pédagogiques qui conviennent à tous nos étudiants », explique la responsable handicap de Sciences Po, Elsa Geroult à l’occasion de la signature d’une convention avec l’Agefiph (Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées) et le FIPHFP (Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique).


Un travail de recherche. Quand il s’agit d’aider les étudiants souffrant d’handicaps visibles comme invisibles (autisme, troubles « dys », troubles psychiques), les mesures de compensation se situent essentiellement aujourd’hui en périphérie de la salle de cours (attribution de tiers temps, compensations humaines ou techniques…) mais encore peu de réponses concernent les modalités de transmission et d’évaluation des savoirs. « Depuis 2016 et à partir d’expérimentations menées par d’autres universités, notamment canadiennes, Sciences Po a développé des méthodologies exploitables en interne comme en dehors de ses murs », explique le directeur de Sciences Po, Frédéric Mion.

En tout 249 étudiants de Sciences Po – huit fois plus qu’il y a 10 ans – souffrent aujourd’hui d’une forme ou d’une autre de handicap. Certains peuvent avoir passé les épreuves en profitant de conditions particulières mais ne plus vouloir en parler ensuite. Au risque de ne pas pouvoir bien suivre des cours pas adaptés. La démarche leur revient en effet totalement sans que l’institution qui les reçoit puisse l’exiger. D’après les premières évaluations menées en 2017 à Sciences Po dans plus de 95% des cas rencontrés, la phase de décrochage est en lien avec une situation de handicap invisible. « Prenons l’exemple du professeur qui demande de « tracer la frontière » entre les PIB de la France et de la Suisse dans un diagramme, donc une courbe, ce sera impossible pour un autiste qui ne peut pas imaginer qu’une frontière ne soit pas droite. Alors qu’en parlant de courbe il réussira parfaitement l’exercice », assure Elsa Geroult.

Des méthodes parfois toutes simples. Sciences Po a réalisé toute une série de petits films pour montrer aux enseignants comment adapter leur pédagogie. Diffusés sur le blog de son pôle handicap à partir de janvier 2018 ils seront accessibles à tous ceux qui se demandent par exemple comment permettre à un dyslexique de bien lire un cours. Un handicap relativement facile à surmonter pour peu qu’on prenne le soin de diviser son cours en de nombreux paragraphes, de souligner les points importants ou… d’utiliser une typographie très lisible type Arial. Mais bien sûr d’autres pathologies sont beaucoup plus difficiles à traiter comme la bipolarité ou la dyspraxie.

Sciences Po, l’Agefiph et le FIPHFP ambitionnent aujourd’hui de se positionner au-delà du critère d’accessibilité stricte, en analysant les besoins des étudiants en situation de handicap et en cherchant, à travers le recours à l’innovation pédagogique, des solutions adaptées. Il s’agit de comprendre les besoins des personnes souffrant de troubles des apprentissages ou de handicaps favorisant le décrochage ou des difficultés d’insertion professionnelle pour « concevoir un enseignement inclusif et profitable à tous ». « Nous voulons promouvoir l’universalité de nos méthodes plutôt que des actions spécifiques pour chaque public », reprend Elsa Geroult.

Comprendre les compétences cognitives. Les actions de Sciences Po sur les personnes atteintes de handicap ont amené l’école à s’interroger sur les modes d’apprentissage. Dans le cadre d’un partenariat avec l’Université McGill (Canada) un « atelier de métacognition » permet depuis septembre à des étudiants de première année de mieux connaître le fonctionnement de leur cerveau. « Nous leur demandons d’analyser leurs stratégies d’apprentissage et comment les améliorer avec des neuropsychologues, des psycho-pédagogistes et même un philosophe », explique Elsa Geroult.

Autant de réflexions qui vont aussi permettre de se tourner vers les entreprises. « Nous travaillons à la mise au point de dispositifs de travaux collaboratifs avec de grandes entreprises pour mieux accueillir les diplômés. Aujourd’hui ce sont des grandes entreprises qui disposent de structures adaptées, demain ce sera avec toutes », assure Frédéric Mion. Aujourd’hui 80 cadres de Canal Plus sont ainsi formés à la « neurodiversité » afin de comprendre comment recevoir des salariés un peu différents mais souvent très créatifs, innovants, travailleurs dont il serait absurde de se priver. La Harvard Business Review a même publié en 2017 un article intitulé « Neurodiversity as a competitive advantage »

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