20 Minutes – Sciences Po : Quel est le bilan du dispositif d’ouverture sociale, 18 ans après son démarrage ?
« Comment je vais faire pour en arriver là, y a du taf », s’exclame Maryama, une lycéenne en terminale au lycée Jean Renoir de Bondy (Seine-Saint-Denis), qui veut essayer d’intégrer Sciences Po . Dans le documentaire Pourquoi pas moi ?*, qui sera diffusé ce lundi soir sur France 3, on suit le parcours de six jeunes préparant le concours dérogatoire permettant à des élèves issus d’établissements défavorisés d’entrer dans la grande école de la rue Saint-Guillaume à Paris. Certains réussiront, d’autres pas, mais tous auront changé en tentant cette aventure.
« On a tous grandi, on tous fait le choix d’études ambitieuses », conclut d’ailleurs Maryama, à la fin du reportage. L’occasion pour 20 Minutes de faire un point sur ce dispositif d’égalité des chances, créé en 2001 par l’ancien directeur emblématique de l’école, Richard Descoings.
Pour améliorer la mixité sociale de son établissement, il avait mis en place les conventions éducation prioritaire (CEP), voies de recrutement alternatives réservées aux lycéens des zones défavorisées. Pas de concours écrit pour ces élèves, mais deux oraux, jugés moins discriminants : une synthèse de dossier de presse sur un sujet d’actualité et un oral d’admission mêlant questions de culture générale et entretien de motivation. Pour s’y préparer, les élèves suivent des ateliers dans leur lycée en 1re et en terminale, où ils réalisent leurs dossiers de presse et s’entraînent aux oraux avec l’aide de leurs profs et d’anciens de Sciences Po.
Une mixité sociale en demi-teinte
Un dispositif qui s’est bien étoffé depuis 18 ans, puisque l’on compte désormais 106 CEP nouées avec des lycées de toute la France. « Grâce aux CEP, 1.929 élèves issus de l’éducation prioritaire ont rejoint Sciences Po depuis 2001 et en 2018, 150 élèves ont été admis par ce biais (les trois quarts étaient boursiers). Et ils représentent 10 % des élèves de première année », annonce Bénédicte Durand, directrice des études et de la scolarité. Si ce dispositif a bel et bien amélioré la mixité sociale de l’école, il a cependant ses limites, comme l’a montré une étude en 2017, qui soulignait que 40 % des élèves admis via les CEP étaient issus de familles CSP +. Les parents de ces élèves, bien informés, avaient inscrit leurs enfants dans un lycée de Rep (réseau d’éducation prioritaire) quand celui-ci avait noué une CEP avec Sciences Po, pensant que ce serait plus facile pour eux d’être admis.
Un biais que ne nie pas Bénédicte Durand : « En effet, certaines familles, minoritaires, font des stratégies de scolarisation. Mais cela faisait partie de l'esprit du projet initial d'ameliorer la mixité sociale au sein des lycées partenaires. Par ailleurs, ces familles n’ont aucune assurance que leur enfant réussira à intégrer Sciences Po via les CEP », explique-t-elle. Pour améliorer encore son dispositif d’ouverture sociale, Sciences Po a prévu de revoir ses procédures d’admission pour 2021 dans le sillage de la réforme du bac. « On travaillera à neutraliser cet effet en changeant certains partenariats avec des lycées et en tentant d’ouvrir davantage aux établissements ruraux ou ultramarins », indique-t-elle. L’école souhaite aussi accueillir plus d’étudiants dans ses campus de région aux effectifs à taille plus humaine et internationalisés (Dijon, Le Havre, Menton, Nancy, Poitiers et Reims), qui permettent aussi se loger moins cher qu’à Paris pour les élèves dont les parents ont des moyens financiers limités.
Leur parcours professionnel est similaire à celui de leurs camarades
Le pari de Sciences Po est en revanche largement gagné concernant l’insertion des élèves issus des CEP au sein de l’école et après l’école. Même si leur première année à Sciences Po n’est pas toujours facile. « On constate une legere prévalence des redoublements en première année chez les élèves recrutés via la procédure CEP et quelques abandons. Car malgré le tutorat que nous leur proposons, ils subissent un choc académique et culturel lorsqu’ils arrivent à l’école. Mais généralement, en deuxième année tout se passe bien pour eux et en fin de parcours, on ne peut même plus distinguer les étudiants qui sont passés par la procédure classique ou ceux qui ont été recrutés par la voie spécifique », indique Myriam Dubois-Monkachi, directrice de la scolarité.
Lorsqu’ils sortent de l’école, les élèves venus par la voie bis, s’intègrent sur le marché du travail aussi bien que leurs camarades : « Selon la dernière enquête, 84 % d’entre eux étaient en poste moins de trois mois après l’obtention de leur diplôme dans des secteurs aussi variés que la banque, le conseil, le secteur public, les médias… Actuellement, l’Assemblée nationale compte d’ailleurs trois députés issus des CEP. ces jeunes diplômés peuvent même toucher des salaires un peu plus élevés à la sortie de l’école que leurs camarades, car ils priorisent des carrières dans le privé et les entreprises reconnaissent leurs mérites », déclare Bénédicte Durand. « Les recruteurs trouvent très intéressant leur sorte de bilinguisme social », renchérit Myriam Dubois-Monkachi. Et lorsqu’ils reviennent dans leurs anciens lycées pour raconter leur parcours, ces brillants professionnels sont de véritables vaccins à l’autocensure.
*Un film de Marine Gautier et Jean Crépu, diffusé à 23h40 sur France 3.
** Tous les étudiants boursiers sont exonérés des droits de scolarité et perçoivent un complément de 75% des sommes versées pas l'Etat. Pour les familles qui paient des droits de scolarité, ceux-ci sont modulés selon les revenus des parents et il existe 14 niveaux de droits de scolarité différents qui s'appliquent (dès 0 € jusqu'à 10.540 €). Des facilités sont prévus en cas de difficulté des familles grâce notamment à une commission de suivi social.