Le Monde campus – Le désir d’écrire fait éclore de multiples formations
Ecrire son roman. C’est le rêve qui a conduit Cyrille Magaldi, 46 ans, principal dans un collège parisien, à demander un congé individuel de formation pour s’inscrire au diplôme universitaire (DU) « écriture créative et métiers de la rédaction » de l’université de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise). Ouvert à la rentrée 2018, il réunit une dizaine d’étudiants en formation continue, une fois par mois, les vendredis et samedis. Une vingtaine d’autres assistent seulement à une partie des cours pour obtenir un certificat universitaire de « pratiques de l’écriture créative » ou de « formation à l’animation d’écriture ».
En ce vendredi matin de mars, Cyrille Magaldi étudie les différences entre les traductions du Livre de la jungle de Rudyard Kipling. Après le déjeuner, il prendra part à l’atelier de poésie, et travaillera aussi un peu à sa propre création. « La formation ne propose pas un suivi de manuscrit, mais permet de questionner son écriture et de se confronter au regard des autres », analyse, ravi, cet ancien enseignant redevenu étudiant. « Ce cursus est centré sur la pratique de l’écriture, précise Anne-Marie Petitjean, sa responsable. Il s’agit de maîtriser les codes pour savoir en jouer. » Déjà animatrice d’ateliers d’écriture, Anne Demerlé-Got est venue au DU de Cergy-Pontoise chercher un nouvel élan. Elle a choisi le parcours « faire écrire » du DU et participe à une séance de formation à l’animation d’ateliers plurilingues. « Faire écrire, c’est redonner du pouvoir aux gens », confie-t-elle.
« L’écriture développe des aptitudes qui vont au-delà de l’expression. Elle permet une introspection, une meilleure capacité de concentration », affirme Delphine Grouès, directrice des études à Sciences Po Paris
Jadis peu enseignée, l’écriture littéraire connaît une véritable percée dans les universités françaises, même si cet essor est encore bien loin d’atteindre les milliers de cursus en « creative writing » proposés aux Etats-Unis. Depuis 2012, cinq masters en création littéraire ont ouvert en France, dont un à Cergy-Pontoise. S’y ajoutent quelques DU, sur l’animation d’ateliers d’écriture notamment. Diverses institutions privées se sont aussi lancées sur ce créneau. Leur vocation : former au métier d’écrivain, mais aussi aider tous ceux qui utilisent l’écriture au quotidien et qui veulent développer leur pratique.
Les grandes écoles ne sont pas en reste. A Paris, Sciences Po a ouvert en septembre 2018 un centre d’écriture et de rhétorique, qui accueille une chaire d’écrivain en résidence chaque semestre. Le premier titulaire en est Kamel Daoud, l’écrivain algérien auteur de Meursault, contre-enquête (Actes Sud, 2015, prix Goncourt du premier roman). Proposés uniquement en formation initiale pour le moment, les ateliers d’écriture de la rue Saint-Guillaume réunissent une centaine d’étudiants. Selon Delphine Grouès, la directrice des études, « l’écriture développe des aptitudes qui vont au-delà de l’expression. Elle permet une introspection, une meilleure capacité de concentration. Au-delà, elle nourrit l’imagination et les capacités de réflexion pour mieux comprendre les autres et le monde ».
Dans tous les cas, ces formations en création littéraire entrent en résonance avec « de nouveaux besoins, écrit Violaine Houdart-Merot, professeure émérite et auteure de La Création littéraire à l’université (Presses universitaires de Vincennes, 2018). Une demande se fait sentir dans un certain nombre de secteurs, à première vue sans lien avec la création littéraire : les métiers de la publicité, du marketing, de la communication, du Web. L’idée se répand qu’une écriture, même professionnelle, gagne à être créative. »
Marre des « boulots à la con »
Attractifs, les masters de création littéraire à l’université comptent une centaine de candidatures pour vingt places, et mélangent les publics en formation initiale et continue. « Les dossiers frappent par leur diversité et montrent bien l’importance des pratiques d’écriture et du désir d’écrire dans la société, note Violaine Houdart-Merot. Un nombre significatif de candidats déjà engagés dans le monde du travail souhaitent se consacrer à l’écriture, pour eux-mêmes, ou pour des reconversions dans l’enseignement, la traduction, la documentation, le journalisme ou la communication. »
A l’université de Cergy-Pontoise, on croise un médecin engagé dans la médecine narrative – le récit de la maladie par les patients et les soignants – ou un vétéran de l’armée impliqué dans des ateliers d’écriture pour des soldats. A Toulouse-II, un inspecteur du travail en quête de reconversion dans la médiation culturelle et un informaticien passionné de slam qui réfléchit à poursuivre en thèse. « Formaliser une pensée répond à un besoin profond. La montée en puissance des “bullshits jobs” [“emplois à la con”] a accentué la nécessité de trouver du sens à sa vie professionnelle », estime Laure Limongi, écrivaine et responsable de l’option « création littéraire » du master du Havre.
Etre publié reste pour beaucoup la motivation principale, viscérale, pour s’inscrire. « Mais comme ils savent qu’il est difficile de vivre du métier d’écrivain, ils regardent ce qu’ils peuvent faire à côté, en rapport avec l’écriture », remarque Laure Limongi. « Nos cursus donnent un éventail d’outils », renchérit Sylvie Vignes, directrice du master « métiers de l’écriture » de l’université Toulouse-II, qui voit émerger des débouchés dans la médiation culturelle.
« La demande est venue de directeurs de la communication qui avaient des difficultés à recruter des personnes sachant écrire », selon Fabrice Daverio, du centre de formation Abilways
Ce regain d’intérêt pour l’écriture littéraire dépasse les facultés de lettres, et s’étend à d’autres types de public. En effet, développer son écriture littéraire permet aussi de maîtriser l’art du storytelling, notamment à des fins politiques ou commerciales. L’apprentissage de ces méthodes décrites par Christian Salmon (Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, La Découverte, 2008) fait l’objet d’une multitude de stages de formation de quelques jours. Rien qu’au CFPJ (Centre de formation et de perfectionnement des journalistes), 182 personnes s’y sont formées en 2018 et environ 400 ont suivi une formation qui s’y consacre en partie, selon cet organisme, qui propose ce type de cursus depuis 2007.
« La demande est venue de directeurs de la communication qui avaient des difficultés à recruter des personnes sachant écrire, se souvient Fabrice Daverio, directeur conseil et stratégie chez Abilways Learning Services (auquel appartient le CFPJ). Avec l’explosion des contenus, sur le Web notamment, il faut savoir raconter des histoires qui happent le lecteur… » Ces formations se sont ensuite élargies à des manageurs qui viennent chercher des clés de communication avec leurs équipes. Pendant deux jours, les stagiaires explorent les schémas narratifs, la tension dramatique ou la construction de personnages héroïques. Comme le résume Fabrice Daverio, « on rejoint les techniques romanesques, mais toujours en partant du réel ».
Sylvie Lecherbonnier